Qu’en pensez-vous ? Il est peut-être temps de dresser le bilan de ces trois dernières années passées à promouvoir ON/OFF dans les festivals du monde entier. Trois années anormalement longues, car j’avais cru comprendre que la durée de vie d’un court-métrage en festival était d’une année en moyenne.
Un bilan donc, pour un nouveau départ. Savoir tourner la page, se remettre au travail, retrouver l’envie, le plaisir, mais surtout saisir le bon moment.
Un bilan qui est impossible à évoquer sans avoir une pensée pour les incroyables personnalités que j’ai pu rencontrer pour la conception de mes deux courts. Je pense aux aux exigeants et réactifs, directeurs de la photographie Thierry Pouget (Baby Boom) et Reynald Capurro (On/Off), aux incroyables reflexes du monteur Nicolas Sarkissian, à la trinité sonore : Frederic Devanlay, Frederic Le Louet et Vincent Arnardi. À Fanny Ottavy, script girl hors pair. Laurent Spillmaecker, le superviseur vfx chez Rodeo Fx, les comédiens, de Jo Prestia à la « Sci-fi Queen » Carole Brana et tant d’autres qui sont si essentiels à la réussite artistique et technique d’un film.
Comme vous le savez tous, la conception de ON/OFF a été mouvementée, difficile. Trois ans également à écrire, produire, tourner, monter un court-métrage dont l’auteur de ces lignes a eu l’idée déraisonnable de placer l’action dans l’espace avec tous les problèmes que cela implique (apesanteur en premier lieu). C’est sûr, après ça, tout me paraitra facile. Facile ? Ce mot qui m’a toujours fait douter. Vous connaissez l’une des lois de Murphy ? « If your attack is going really well, it’s an ambush ». Comptez sur moi, pour rendre les choses toujours plus difficiles. Rien n’est plus épanouissant que de sourire dans l’effort.
Trois ans à concevoir, trois ans à promouvoir. C’est trinitaire donc parfaitement logique. Je me souviens d’une question d’un journaliste du magazine Mad-Movies qui m’avait demandé à juste titre si ce n’était pas beaucoup d’efforts pour un court-métrage. En plus de résumer les lignes écrites plus haut, je lui avais répondu que l’avant-première et surtout l’accueil au Pifff (Paris International Fantastic Film Festival) en valaient la chandelle. Génial moment que fut la sortie de la projection des courts. J’ai tendance à dévaluer l’approche que le public peut avoir d’un court-métrage, je fus incroyablement surpris par l’enthousiasme de ce dernier. A ce moment-là, j’étais loin d’imaginer ce qui allait se passer par la suite : au total, ON/OFF a été sélectionné dans 108 festivals à travers le monde et a obtenu 16 récompenses dont 8 fois celui du « meilleur film ». Chose qui me semble assez rare, surtout pour un court-métrage de science-fiction tourné en français. C’est d’ailleurs l’une des choses dont je suis le plus fier : avoir réussi à faire autant de festivals à la fois du côté de festivals spécialisés dans le cinéma de Genre (le Pifff, Gerardmer, Fantasia…) que dans les festivals dits « mainstream » (Festival Européen du Film Court de Brest, Palm Springs International Film Festival… par exemple).
C’est aux Etats-Unis que ON/OFF enregistre le plus de sélections. Le contexte de l’espace est lié à la conquête. Il est finalement normal que le film ait trouvé le plus grand nombre de spectateurs dans un pays de pionners. Dommage que culturellement depuis 30 ans, la France, elle, a choisi de ne plus être dans l’Histoire.
Cependant, la science-fiction étant prise généralement de très haut par le milieu culturel du cinéma français, je n’imaginais pas faire autant de sélections en France. Merci de m’avoir donné tort. Les lignes bougent. Ce n’est pas encore la panacée mais ça évolue, c’est indéniable. Le film aura même droit à sa diffusion sur France 2 ! Impossible de ne pas y voir là, un encouragement certain : la science-fiction est possible en France, si elle est singulière.
J’en veux pour preuve, outre les productions américaines, dont deux grosses hollywoodiennes, j’ai quand même eu droit à la curiosité d’un très gros producteur français. J’avoue… je ne m’y attendais pas. Contrairement aux Etats-Unis dont les sociétés de productions dressent des listes de réalisateurs à suivre et envoient des têtes chercheuses dénicher les talents dans le monde entier, en France, les producteurs ont plutôt tendance à attendre qu’on vienne taper à leurs portes ou à faire travailler les copains même quand ils n’ont aucune légitimité à être réalisateurs (c’est un métier, avant d’être un moyen d’expression ou une cour de récré). Là, encore, cela prouve que les lignes bougent. Ils sont sans doute humainement moins frileux, car l’une des caractéristiques du milieu du cinéma français (mais pas que) c’est qu’il n’est pas très courageux. La pauvre diversité du cinéma français parle en ma faveur.
Néanmoins, ce fut une surprise, une belle expérience et surtout un énième indicateur que le corps bouge encore. Etant plutôt sur la fin d’une ère que sur le début, le côté binaire du cinéma français, à savoir grosse comédie d’un côté et film d’auteur industriel de l’autre, va très prochainement imploser.
On a actuellement 2 comédies qui marchent sur 100 produites. Et 100 films anonymes « sponsorisés » par le CNC. Le goût des gens évolue, le marché bouge. Les réseaux sociaux jouent désormais un rôle central dans la vie d’un film. Un mauvais bouche à oreille sur Twitter et Facebook et c’est le couperet. Il faudra désormais compter sur le talent, l’imagination et l’ambition ce qui était loin d’être le cas depuis 30 ans en France. La Chine va devenir le nouvel eldorado du cinéma mondial ce qui pour ma part me réjouit car j’ai fait mes gammes avec le cinéma asiatique. Si ça devait se présenter, j’éprouverais 100 fois plus d’excitation à l’idée de faire un film avec une star chinoise plutôt qu’américaine. C’est comme ça.
De nombreuses et nouvelles opportunités s’offrent aux producteurs français qui souhaitent produire un autre cinéma plus proche des enjeux du 21e siècle, plus moderne, plus ambitieux et plus divertissant que deux hommes bedonnant en slip de bain ou d’une dépressive, héritière d’une maison qui lui rappelle sa triste enfance.
Me concernant donc, je ne suis pas inquiet bien au contraire. Je dirais que le futur du cinéma s’annonce très excitant pour peu qu’on ait de l’ambition et des envies de concepts forts, avec une cartographie précise des rapports sociaux et psychologiques qu’entretient l’Homme au 21e siècle.
Comme vous le savez, le cinéma me permet, entre autres, d’aborder un sujet qui me passionne : le transhumanisme. Un mouvement techno-scientifico-idéologique qui n’est plus à démontrer tant les voyants de son intronisation sont au vert depuis quelques années maintenant. Bien entendu, cela se fera en douceur et bonne humeur… mais sans conscience. À toute thèse son antithèse. A chaque chose, son contraire. Il y aura forcément des problèmes qu’il serait trop long d’aborder ici. N’attendez pas de moi que je me fasse donneur de leçons ou que je choisisse un camp. Cela ne sert strictement à rien dans la mesure où cela s’imposera à nous. Et d’un point de vue cinématographique, ce n’est ni intéressant, ni grandissant. Je m’engage par contre à exposer les avantages et les inconvénients des enjeux techno-futuristes auxquels l’être humain va devoir faire face tôt ou tard.
Je ne vous le cache pas : je travaille actuellement sur un projet de long-métrage sur ce sujet. J’espère pouvoir vous en parler très prochainement. Il y a encore du travail, et des questions liées à la production, sans compter que le système est assez lent, en tout cas pour moi. Mais l’enthousiasme est là. C’est l’essentiel. Je ne doute pas un seul instant que le projet arrivera à son terme, le sujet est fort, c’est frais, exaltant et les enjeux modernes. Bref, vous l’avez compris, je suis sur les « starting-blocks ».
Bonnes vacances à tous !
@ T.L